MÉSOPOTAMIENNE (ARCHÉOLOGIE)

MÉSOPOTAMIENNE (ARCHÉOLOGIE)
MÉSOPOTAMIENNE (ARCHÉOLOGIE)

La Mésopotamie fut, dès le VIe millénaire et parallèlement à l’Égypte, un haut lieu de civilisation. La Bible en a gardé la trace: le jardin d’Éden, Paradis terrestre de la Genèse, est situé du côté de l’Orient. Les premières fouilles eurent lieu dès décembre 1842, quelques décennies après la redécouverte de l’Égypte, et l’archéologie mésopotamienne fut longtemps à l’avant-garde de l’archéologie proche-orientale. Après cent cinquante ans d’efforts, les résultats sont riches et nuancés. Les méthodes de fouille se sont améliorées et la problématique s’est transformée.

1. La Mésopotamie antique

L’historien grec Polybe (IIe s. av. J.-C.) appelait la vallée alluviale du Tigre et de l’Euphrate la Mésopotamie ou «pays entre les fleuves». C’est, en effet, le trait majeur de l’Iraq. Ces deux fleuves (Purattu et Idiglat, en akkadien) prennent leur source dans les montagnes d’Arménie et coulent presque parallèlement sur quelque mille kilomètres avant de se jeter dans le Golfe. Le Tigre, le plus court, reçoit tous ses affluents du Zagros iranien (Zab, Diyala). L’Euphrate, le plus long, reçoit ses principaux affluents (Balikh et Habour) en territoire syrien. Les deux fleuves coulent dans la vaste dépression qui s’allonge entre les derniers plis du Zagros iranien à l’est et les hautes terres du désert de Syrie et de Jordanie à l’ouest. Dès que les fleuves entrent en Babylonie proprement dite, à la latitude de Bagdad, à partir de la limite nord de fructification du palmier-dattier, l’agriculture est soumise au régime des crues des deux fleuves. C’est dire l’importance de l’irrigation. Sur les 32 500 km2 cultivés en 1955 en Iraq, 84 p. 100 étaient susceptibles d’être inondés à un moment ou à un autre, et le contrôle des crues commande tout le système d’irrigation, c’est-à-dire de la production agricole. Ces crues peuvent être irrégulières, car elles dépendent de l’abondance de l’eau issue de la fonte des neiges en Arménie. Si le débit moyen du Tigre est de 1 300 m3/s à Samarra, il peut monter, comme en 1941, à 130 000 m3/s. L’Euphrate ne débite en moyenne que 860 m3/s à Hit, mais il peut en débiter 4 000 m3/s. Ces crues sont d’autant plus dangereuses, et nécessitent un contrôle d’autant plus strict, qu’elles peuvent se produire en même temps. De plus, par suite des dépôts d’alluvions et de l’horizontalité de la plaine, le lit des fleuves est souvent plus élevé que les terres qu’ils irriguent. L’eau est donc abondante, mais difficile à contrôler. En revanche, les alluvions de la vallée sont extrêmement fertiles (sauf dans le Sud où des problèmes de salinisation viennent entraver l’effort agricole). L’ensoleillement est souvent excessif. Dans la plus grande partie du pays, à l’exception du Nord auquel la proximité des montagnes anatoliennes assure un climat plus modéré, la température se situe, de mai à septembre, entre 40 et 50 0C.

La présence des couches sédimentaires entraîne une disparition quasi totale du socle rocheux. On ne trouve de pierre que dans le nord du pays (carrières de gypse). Le matériau de construction de prédilection a donc été, et cela jusqu’à l’époque contemporaine, la terre, pisé ou brique séchée au soleil. Le problème majeur était l’absence de bois de construction, le palmier ne pouvant en tenir lieu.

Le pays mésopotamien est donc riche de potentialités agricoles (soleil, eau, bonnes terres) mais il est impératif qu’un travail soutenu vienne contrôler et corriger les excès de la nature. L’archéologie nous apprend que le premier effort d’irrigation (c’est-à-dire l’apport artificiel d’eau à un sol) a été réalisé en Mésopotamie, dès le VIIe millénaire. En ce cas, on pourrait reprendre pour le compte de ce pays l’expression qu’Hérodote appliquait à l’Égypte et au Nil, et affirmer que la Mésopotamie est un don du Tigre et de l’Euphrate. En effet, en raison du climat, la quasi-totalité du pays est aride, et seuls les fleuves l’empêchent d’être un désert humain. Mais cela n’est obtenu qu’au prix d’un dur travail.

On peut estimer, pour simplifier, que le climat n’a guère changé depuis plus de dix mille ans. Excessif, il ne permet une agriculture extensive sèche que dans la partie septentrionale de la Mésopotamie, la grande steppe appelée Djezireh, qui s’étend d’Alep à Mossul. Au sud de ces vastes plaines, dans ce qui constitue la Babylonie, de la latitude de Samarra et Bagdad à celle de la côte du Golfe, on passe insensiblement d’un climat semi-aride à un climat aride. Depuis la haute Antiquité, le seul changement notable est celui de la ligne de rivage du Golfe dont l’histoire est toujours l’objet de discussions. Les transgressions et régressions marines ont alterné depuis la dernière glaciation. Le niveau de la mer a monté de près de 20 m entre le Xe et le VIIe millénaire, repoussant le rivage loin à l’intérieur des terres, et l’on ne s’étonne pas de voir naître, sur cette côte, le mythe du déluge, dans un pays où, de surcroît, les crues de printemps du Tigre et de l’Euphrate sont redoutables. La Bible a conservé (Gen., VI, 5-9 et 17) la trace d’une inondation catastrophique que certains archéologues, jadis, cherchaient à identifier. À l’époque d’Obeid (de 6000 à 4000 av. J.-C.), le Golfe s’est avancé beaucoup plus au nord qu’aujourd’hui. À l’époque sumérienne (3000-2000 av. J.-C.), les anciennes villes, Ur et Uruk, étaient au bord de la mer qui unit ce pays aux rivages lointains d’Oman et de l’Inde. Aujourd’hui, le Golfe a reculé de 250 km, laissant derrière lui des marécages où la terre et l’eau se mêlent de façon inextricable.

2. L’archéologie en Mésopotamie

Les premiers travaux archéologiques sur le sol mésopotamien furent menés par P. E. Botta, consul de France à Mossoul, dont les recherches à Quyundjik et à Khorsabad en 1843-1844 permirent les premières découvertes archéologiques des sites assyriens. À cette époque, on ne connaissait guère de l’Ancien Orient que ce qu’en disait la Bible. L’Anglais H. Layard, dès 1845, travaillait à Nimrud et Assur et fut remplacé en 1851 par H. Rawlinson. La rivalité franco-anglaise battait alors son plein et les consuls ou les agents politiques tenaient lieu d’archéologues. On s’intéressait surtout à la découverte des reliefs sculptés et des tablettes cunéiformes. L’architecture de briques crues fut la grande victime de ces entreprises fébriles, menées au bénéfice des grands musées européens, sous la surveillance discrète et lointaine de l’empire ottoman. Les découvertes furent sensationnelles: à Khorsabad, les grands taureaux androcéphales du palais de Sargon II, à Ninive, les reliefs d’Assurbanipal dont la belle série des chasses, orgueil du British Museum. Dans le Sud, les Anglais exploraient les tells de basse Mésopotamie (Loftus, Taylor). Dès 1877, le consul français de Bosrah, E. de Sarzec, commença l’étude de Tello d’où il rapportait au Louvre la superbe série des statues de Gudéa, révélant ainsi au monde la culture sumérienne, dont la Bible ne parlait pas.

À la fin du siècle dernier, on entreprend sur tout le territoire mésopotamien de grandes explorations, en particulier à Babylone, Assur et Suse. La recherche se concentrait en effet sur quelques grands sites prestigieux. Les archéologues allemands, formés à l’école de l’architecture, dotèrent alors la recherche archéologique de méthodes plus assurées et menèrent à bien des dégagements minutieux. Ce fut le cas à Babylone avec R. Koldewey (1899-1917) et surtout à Assur avec W. Andrae (1903-1914). La Première Guerre mondiale interrompit cet effort.

L’Empire ottoman disparu, l’Iraq fut placé sous mandat anglais et l’activité archéologique reprit de façon soutenue. De vastes opérations furent conduites sur des sites de grande dimension. On peut citer les recherches anglaises à Ur (L. Woolley) et allemandes à Uruk (Jordan, Nöldeke), ou encore les fouilles américaines dans la basse vallée de la Diyala (H. Frankfort). La «chasse au trésor» n’était évidemment plus la préoccupation principale de ces chercheurs, mais l’effort portait toujours sur le dégagement des monuments, la récolte d’objets, et l’établissement d’une chronologie assurée. Pour les périodes historiques, la Mésopotamie bénéficiait de l’éclairage apporté par de nombreux textes cunéiformes sur tablettes, déchiffrées dès le milieu du XIXe siècle pour l’assyro-babylonien. Pour les périodes antérieures à l’apparition de l’écriture, on cherchait à établir la succession chronologique des cultures préhistoriques d’après l’étude des productions céramiques.

Après la Seconde Guerre mondiale, le rythme des travaux fut plus lent. De nombreuses équipes iraquiennes participèrent désormais à l’effort international. Certains chantiers anciens furent repris (Larsa, Uruk, Nippur, Nimrud, etc.). D’autres s’ouvrirent, qui firent parfois figure de pionniers et marquèrent profondément l’ensemble de l’archéologie proche-orientale (R. Braidwood à Jarmo). Les périodes les plus anciennes firent l’objet d’études plus attentives. Inaugurée à Jarmo, la collaboration des archéologues, des géologues, des anthropologues, des botanistes et des zoologues est devenue la règle. L’optique générale a changé. On s’intéresse désormais aux modes de vie ou à la structure sociale des habitants d’une région. Ce qui était jadis une archéologie des musées, recherchant surtout les chefs-d’œuvre de la création artistique, devient peu à peu une anthropologie s’attachant à situer les hommes dans leur environnement, à comprendre leurs relations avec les objets et le monde qui les entourent. En Mésopotamie comme d’ailleurs dans le reste du monde, l’archéologie est en train de subir une profonde transformation. La préhistoire fait l’objet d’études paléo-économiques ou paléo-sociologiques. On cherche à définir les modalités des changements de société. Les périodes historiques font l’objet d’études de même nature. Mais, sur tous ces points, la recherche en Mésopotamie est sans doute moins avancée que dans d’autres régions du monde, ce qui est d’autant plus regrettable que le développement économique de l’Iraq moderne a entraîné une destruction accélérée des vestiges anciens, difficilement contrebalancée par la multiplication des fouilles de sauvetage (Hamrin, Haditha, Eski Mossoul). Si la guerre entre l’Iraq et l’Iran (1980-1988) n’a pas ralenti l’activité archéologique, les événements dramatiques de 1990-1991 (guerre du Koweït) ont totalement interrompu la recherche internationale sur le terrain.

3. Les principaux résultats

Les premiers villages

Laissant de côté l’énorme période préhistorique antérieure à l’apparition des premiers villages, on peut tenter de retracer le développement de l’ancienne Mésopotamie à partir de l’époque des premiers villages. La révolution néolithique, pour reprendre l’expression de Gordon Childe, ne s’est pas produite en Mésopotamie, mais dans les pays du Levant. Cependant, ces bouleversements du comportement humain gagnèrent vite la Djezireh iraqienne plus à l’est, comme en témoignent les données récemment obtenues sur des sites du nord de l’Iraq, Qermez Dere et Nemrik, à l’ouest et au nord de la ville moderne de Mossul. Toutefois, alors que le Levant a su évoluer très rapidement vers la production de subsistance, les plaines du nord de l’Iraq semblent ne pas suivre du même pas. En réalité, les habitants de Qermez Dere et Nemrik sont encore très proches des chasseurs-cueilleurs. La culture matérielle n’offre que des échos assourdis des modifications fondamentales de néolithisation «primaire» du Levant.

Cependant, à partir du VIIIe millénaire, la Djezireh iraqienne commença à se couvrir de villages dont les habitants pratiquaient l’agriculture et l’élevage. Dans ces steppes du nord (région de Mossul, moyenne vallée du Tigre), les archéologues soviétiques ont dégagé, à Maghzalia, l’un de ces villages (actif entre 7500 et 7000). Si l’alimentation des habitants repose encore en grande partie sur la chasse, ils connaissent cependant les animaux domestiques et pratiquent l’agriculture, récoltant du blé amidonnier et de l’orge à deux rangs. À Maghzalia, sur les pentes méridionales du Djebel Sinjar, l’agriculture sèche est possible, car la pluviosité naturelle est suffisante. On ne fabrique pas encore de céramique, mais on sait construire des maisons rectangulaires en pisé sur fondations de pierres sèches. À un certain moment de son existence, le village s’est entouré d’un imposant mur défensif en pierre.

À partir de 7000 avant J.-C., les villages se multiplient en Djezireh et témoignent d’une grande unité culturelle. La céramique est désormais connue, qui permet de classer et de comparer les «cultures» préhistoriques. Alors se met en place une civilisation villageoise dont – pour l’essentiel – les traits perdurent de nos jours («culture de Hassuna»: sites de Shimshara, Yarim Tepe ou Hassuna lui-même).

Sur cette toile de fond, un fait de première importance se produisit au milieu du VIIe millénaire: des villages s’installèrent plus au sud, au centre de l’Iraq, dans la région de la ville actuelle de Samarra, où la faiblesse des précipitations empêche le développement des cultures sans le recours à l’irrigation. Il fallait pratiquer l’apport d’eau artificiel. Les habitants de ces nouveaux villages (tell es-Sawwan, à côté de Samarra, ou Choga Mami, au pied du Zagros) en connaissent les techniques, car ils cultivent des espèces (lin et orge à six rangs) dont les graines prouvent, par leurs dimensions, qu’elles ont été irriguées. Dans d’autres domaines également, ces grosses agglomérations témoignent d’avancées majeures. À Sawwan comme à Choga Mami, l’architecture est raffinée et les maisons se conforment à des modèles très typés. Les maçons utilisent un matériau standard et rationnel, la brique de terre crue moulée, dont les dimensions calculées permettent un projet préalable. Les plans des édifices sont à peu près identiques, et l’on observe l’apparition de «types», qu’il s’agisse d’habitations ou de greniers. À la même époque apparaissent les premiers villages de Mésopotamie du Sud (Oueili), qui pratiquent l’irrigation.

Au début du VIe millénaire, la culture syrienne de Halaf, en une lente expansion vers l’est, supplante celle de Hassuna. Elle est caractérisée par une céramique peinte et une architecture dont le trait le plus saillant est la présence d’édifices circulaires (les tholoi ) de 5 à 6 m de diamètre en moyenne, qui sont sans doute un mode d’habitat particulier, coexistant avec une architecture rectangulaire. Ces tholoi sont des maisons d’habitation et non des sanctuaires, comme le pensaient les premiers fouilleurs. Cette culture d’Halaf est relativement plus mal connue que celle de Hassuna. On devine que les fondements économiques des villages halafiens ne devaient guère différer de ceux de l’époque précédente. Toutefois, l’extension des productions halafiennes est beaucoup plus vaste que celle des productions hassuniennes. En s’appuyant sur les attestations fournies par la céramique, on constate que les cultures halafiennes sont regroupées dans le nord de l’Iraq et la région du Habur en Syrie. Dans ces deux régions, elles se sont développées localement. L’aire de circulation des biens de la culture halafienne est donc beaucoup plus vaste que celle de l’époque de Hassuna mais on ne peut déceler très clairement la raison de cette évolution. Par ailleurs, on constate la présence d’agglomérations halafiennes très loin des steppes syro-iraquiennes qui s’étendent au pied des montagnes anatoliennes: vallée de Hamrin en Iraq oriental, haute vallée du grand Zab (Gird Banahilk) et jusqu’aux sources du Tigre (Giriki Haciyan), au lac de Van (Tilki Tépé) et à l’ouest jusqu’à la côte méditerranéenne (Ras Shamra, Mersin). La céramique halafienne est très reconnaissable (parfois polychrome, et souvent ornée de motifs ressemblant à des bucranes), et son étude a permis de souligner la profonde unité entre tous les sites de la steppe syro-iraquienne. Peu à peu, cette culture de Halaf fut remplacée par une autre culture matérielle, dite d’Obeid, dont les affinités avec la culture d’Obeid de Mésopotamie méridionale sont évidentes.

Au milieu du VIIe millénaire, la basse Mésopotamie – jusque-là probablement inoccupée, mais cela est encore discuté – est mise aussi en culture (époque d’Obeid). Sur ces terres basses et salées, où le sol et l’eau se mêlent de façon inextricable, des villageois s’installent parce qu’ils maîtrisent, eux aussi, les premières techniques d’irrigation, indispensables sous ces latitudes. Mais dans cette région, qui deviendra plus tard le pays de Sumer, les premiers villages sont aujourd’hui fossilisés sous d’énormes masses de sédiments récents, et fort mal connus. Les travaux français à Oueili – malheureusement interrompus par la crise internationale – commençaient d’éclairer l’évolution de ces villages de l’époque d’Obeid. Du milieu du VIIe au milieu du IVe millénaire, on suit les étapes assez rapides qui conduisirent ce site vers un système de plus en plus standardisé et de mieux en mieux adapté aux conditions particulières du bas Iraq. Dès avant 6000, les habitants construisent – en brique de terre crue moulée – de vastes maisons (plus de 100 m2) à plusieurs pièces, dont le toit est supporté par des rangées de poteaux de bois sur bases de briques (ce sont les plus anciennes salles hypostyles connues). Le plan raffiné de ces édifices cultive la symétrie. Des greniers collectifs s’élèvent sur des infrastructures de murets croisés qui ménagent les vides sanitaires nécessaires. Une céramique extrêmement soignée, proche de celle de Choga Mami et de Samarra, répond, par un décor géométrique compliqué, à des nécessités sociales dont le sens nous échappe totalement, mais qui ne sont pas du ressort du simple décor ornemental. Les villageois cultivent le palmier-dattier, l’orge et le blé. À côté de rares ovins, mal adaptés à ce pays marécageux, les cochons (37,6 p. 100) et surtout les bovidés (45,5 p. 100) sont nombreux. La chasse ne joue plus qu’un rôle négligeable dans l’alimentation. Mais on pêche beaucoup dans les canaux et les bras multiples de l’Euphrate. Au sein de ces villages obéidiens d’agriculteurs éleveurs et pêcheurs apparaissent, selon des modalités que nous ignorons encore en grande partie, les premières villes.

Les premières villes

Du village à la ville, le passage ne s’est pas fait brutalement, mais on peine à en retracer les étapes. La ville n’est pas un gros village, mais un centre de relations et de décisions où se rencontrent les hommes et où s’échangent les marchandises, où se diffusent les idées. En basse Mésopotamie, l’archéologie note l’émergence des villes non seulement en remarquant l’apparition de grands bâtiments publics, mais encore d’outils nouveaux: le sceau-cylindre et surtout l’écriture. Ainsi, à Uruk, on voit se développer l’écriture (même si l’apparition de la comptabilité, puis celle de l’écriture pictographique sont actuellement mieux suivies à Suse), on voit naître une architecture monumentale et on observe une capacité d’invention remarquable dans ce domaine (emploi de matériaux artificiels, utilisation massive de la pierre dans les fondations, et du mortier de gypse).

La région d’Uruk fait preuve d’un certain expansionnisme. À Suse II, la céramique peinte disparaît et le matériel caractéristique d’Uruk (céramique, glyptique, petits objets) fait irruption dans les niveaux contemporains de l’époque d’Uruk. Bien plus, des établissements proprement «urukiens» sont fondés à la même époque sur le moyen Euphrate en Syrie (Habuba Kabira, Djebel Aruda, Tell Qannas) et jusqu’en Anatolie (Hassek Hüyük) et en Iran (Godin V). À l’époque d’Uruk, la basse Mésopotamie est vraiment la région la plus dynamique du ProcheOrient. Si les premiers textes sont indéchiffrables, il n’y a aucune raison archéologique de douter que la population d’Uruk n’ait été alors constituée des ancêtres de ceux qui écriront, dans le courant du IIIe millénaire, en sumérien. Dès l’époque d’Uruk, la société semble fortement hiérarchisée. Dans l’iconographie apparaît un personnage clef, qualifié dans la littérature archéologique, de façon conventionnelle, de «roi-prêtre», sorte de chef religieux, civil et militaire de la grande cité d’Uruk, toujours vêtu d’une longue jupe, le torse nu, portant la barbe. Sans qu’on puisse en décrire les modalités de façon précise, il semble indubitable que la maîtrise des techniques d’irrigation a joué un grand rôle dans la «montée en puissance» de la basse Mésopotamie à cette époque, et dans son développement économique par rapport aux autres régions. Le Nord, en effet, à la même époque (culture de Gawra) ne fait que poursuivre une évolution progressive qui ne témoigne d’aucune innovation subite. L’écriture, en particulier, ne fait son apparition que plus tardivement.

La cité-État

Durant la majeure partie du IIIe millénaire, la Mésopotamie vécut sous le régime politique de la cité-État. À partir de 2700 avant J.-C. environ, les textes se font plus nombreux et deviennent compréhensibles. Durant cette période (2900-2350 av. J.-C.) dite des Dynasties archaïques, la Mésopotamie méridionale est peuplée de Sumériens, mais quelques groupes sémitiques s’infiltrent, surtout dans le nord et le centre du pays. Les grands personnages de la cité se font statufier en position d’orants. Des stèles commencent à perpétuer le souvenir de tel ou tel événement guerrier. Sur la stèle des vautours (Louvre) retrouvée à Tello, en Iraq du Sud, le roi de Lagash, Eannatum, magnifie sa victoire sur la ville voisine et rivale d’Umma. Il défile à la tête de ses soldats qui piétinent les vaincus. Sur l’autre face, le dieu Ningirsu capture les ennemis du roi de Lagash dans un vaste filet.

La société d’une grande cité sumérienne vers le milieu du IIIe millénaire nous est particulièrement bien connue, grâce à la découverte de la nécropole d’Ur en basse Mésopotamie, exhumée par l’archéologue L. Woolley entre les deux guerres mondiales. Au milieu de tombes banales, certaines sépultures reflètent bien la richesse extraordinaire du sommet de la hiérarchie sociale. Autour des défunts s’entassent un matériel luxueux (bijouterie en or, argent, et lapis-lazuli, armes et vaisselles) et tout un peuple de serviteurs et de valets, victimes probables d’un suicide collectif, et enfin des animaux de trait. La présence de matériaux inconnus en Mésopotamie (par exemple le lapis-lazuli, originaire d’Afghanistan oriental) atteste la vigueur du commerce lointain, dont les cités sumériennes étaient les organisatrices et les bénéficiaires.

L’unification de la Mésopotamie

Ces riches cités furent unifiées, vers 2340 avant J.-C., en un État militaire fondé par le Sémite Sargon d’Akkad. La recherche archéologique n’a pas encore réussi à identifier sa capitale, mais l’art royal de l’époque, retrouvé sur de nombreux sites mésopotamiens, illustre la naissance d’une véritable propagande au service du souverain. Sur la pierre, la victoire royale devient le thème presque unique. Le petit-fils de Sargon, Naram-Sin, se fit même représenter, sur une stèle retrouvée à Suse, coiffé de la tiare à cornes, attribut divin. À la même époque, le répertoire de la glyptique sur cylindre comprend des scènes admirablement exécutées, sources de premier plan pour notre compréhension de la mythologie suméro-akkadienne (combats de héros mythiques contre des animaux et des monstres, scènes mythologiques, images divines). Mais la construction politique des rois akkadiens s’écroula rapidement sous les coups des montagnards descendus du Zagros. À la fin du IIIe millénaire, l’ancienne cité d’Ur sut réunifier la Mésopotamie (IIIe dynastie d’Ur, 2100-2000 av. J.-C.). À cette époque, l’art mésopotamien n’échappa pas à un certain académisme, mais il illustre le dernier éclat d’une vieille civilisation qui nous a livré, pour cette période, une grande abondance de textes de tout ordre. La plupart des grands sanctuaires furent rebâtis à ce moment, et le roi Ur-Nammu construisit les premières ziggourats, ou tours à étage, dont la destination demeure obscure.

À partir du début du IIe millénaire, le centre de gravité du monde oriental se déplaça vers l’ouest. Si, sous le roi Hammourabi (XVIIIe siècle), la ville de Babylone réussit à imposer son autorité à l’ensemble de la Mésopotamie (code d’Hammourabi), il semble que l’élan créateur ait quitté cette vieille terre. Toutefois, certains sanctuaires, reconstruits à cette époque, témoignent de l’habileté des architectes du pays des deux fleuves (sanctuaire de l’E. Babbar ou temple du dieu du Soleil à Larsa).

Sous les rois kassites (XVIe-XIIIe s.), la Mésopotamie centrale et méridionale semble entrer dans une sorte de léthargie politique. Cette époque nous a laissé de belles stèles en pierre, dites kudurru , et des chefs-d’œuvre de sculpture animalière. Mais la capitale, Dur-Kurigalzu, est à peine fouillée.

Pendant ce temps, une nouvelle puissance émerge peu à peu dans le nord de la Mésopotamie, surtout à partir du règne de Tukulti-Ninurta Ier (1244-1208). Alors que la fin du IIe millénaire est marquée dans tout le Proche-Orient par les conséquences d’une crise multiforme (invasion des Peuples de la mer, chute de l’Empire hittite), le pays assyrien, sur les bords du Tigre, n’a guère été atteint. L’archéologie assyrienne est peu documentée, mis à part les informations provenant d’Assur même. Peut-être les fouilles en cours dans la région de Haditha sur l’Euphrate moyen apporteront-elles des lueurs nouvelles sur une époque encore obscure. Mais, à partir des grands rois du IXe siècle, Assurnazirpal II et Salmanasar III, l’Assyrie fait preuve d’un dynamisme redoutable, qui se traduit par une expansion militaire. De cette période, on connaît surtout les principaux monuments des grandes capitales, Assur, puis Nimrud, Khorsabad, Ninive enfin. Mais l’archéologie a peut-être trop mis l’accent sur les aspects publics ou politiques de la vie assyrienne, au détriment d’une étude de la vie matérielle populaire, et de ses fondements économiques. Les grands sites du Ier millénaire comme ceux du IIe ont bénéficié d’une attention soutenue, portée aux grands temples, aux palais royaux, aux manifestations de l’art officiel, aux nécropoles. Mais, en dehors des capitales, les sites fouillés sont rares. Pour les périodes historiques, l’archéologie mésopotamienne a peut-être été influencée par l’abondance et la richesse des textes, et elle a souvent eu tendance à ne fournir que l’illustration officielle, à travers un art somptueux, d’une vie politique et culturelle par ailleurs bien connue. Les reliefs sculptés royaux néo-assyriens sont une source documentaire magnifique. Ils nous donnent une information sans égale sur l’armée assyrienne, son équipement, sa tactique, sa stratégie. Mais le paysan ou l’artisan assyriens, qui ne sont pas l’objet de la même attention de la part des sculpteurs royaux, demeurent dans l’ombre. De telles observations sont également valables pour la dernière période de l’histoire mésopotamienne, l’époque néo-babylonienne, pendant laquelle, pour un court moment, Babylone est redevenue le centre du monde (612-559 av. J.-C.). On ne connaît guère que certains quartiers de la capitale, telle qu’elle fut restaurée par le roi Nabuchodonosor II (604-562 av. J.-C.). Encore les archéologues allemands du début de ce siècle eurent-ils le grand mérite de s’attacher non seulement au dégagement de la plupart des temples, de l’enceinte, du palais royal, mais également d’un vaste quartier d’habitation, le Merkès, dont la régularité, l’aspect hiérarchisé et ordonné, peut surprendre.

L’archéologie mésopotamienne, vieille maintenant de près de cent cinquante ans d’expérience, a considérablement évolué. Partie d’une «chasse au trésor» qui eut au moins le mérite de sauvegarder certains monuments à une époque où les autorités locales s’en désintéressaient, elle a su mettre en place les grands cadres chronologiques dont elle avait besoin, puis restituer les traits principaux de l’évolution des hautes périodes, pour lesquelles les textes écrits n’existent pas. Elle doit désormais s’adapter à une problématique nouvelle, devenir vraiment anthropologique. Il lui reste, en particulier, à appliquer ces méthodes nouvelles aux périodes historiques, sans se laisser éblouir par les richesses d’une culture matérielle qui fit de la Mésopotamie, pendant près de trois mille ans, un des hauts lieux de l’humanité.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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